Description
VILMORIN, Louise de (1902-1969). 94 lettres, cartes postales et poèmes à Maurice Pianzola. 9 octobre 1961 - 10 novembre 1967.
EXCEPTIONNELLE CORRESPONDANCE AMOUREUSE INÉDITE DE LOUISE DE VILMORIN À MAURICE PIANZOLA, SUR PRÈS DE SIX ANS.
On ne sait pas exactement quand Louise de Vilmorin rencontra Maurice Pianzola (1917-2004), conservateur en chef du Musée d'art et d'histoire de Genève à partir de 1962. La première lettre date du 9 octobre 1961. Voussoyant son destinataire, pratique qu'elle abandonnera rapidement au profit d'un tutoiement familier, Louise de Vilmorin se peint "triste et heureuse à la fois: heureuse de vous connaître, triste de vous avoir quitté, vous occupez à la fois mon bonheur et mes regrets. [...] Vous m'avez tiré du flot de mes sanglots et je me suis amusée grâce à vous". Cette lettre, dans laquelle la passion n'est pas encore présente, est à l'image du reste de la correspondance: constamment balancée entre des sentiments contradictoires, jamais sûre d'elle-même, l'écrivain ne cesse de chanter son amour tout en voulant le mettre à bas, tiraillée entre une inclination contre laquelle elle ne peut rien ("Je t'aime sans le vouloir", 16 déc. 1963), et "l'horrible sentiment de t'importuner et pire encore de n'être pour toi qu'un objet de ridicule et, par conséquent, de moqueries" (3 déc. 1963).
En dépit d'un ton dramatique -- dû à un amour visiblement sans retour -- Louise de Vilmorin ne se dépare jamais de sa verve et de son esprit brillants, dénichant dans la vie quotidienne matière à des chroniques mordantes ou drôles sur la société qu'elle fréquente. Dans une lettre du 11 février 1964, au retour d'un dîner dans une "maison somptueusement laide", Louise de Vilmorin donne un amusant et pittoresque aperçu de cette soirée. Sur cinq pages, elle retrace le dialogue entre deux des invités (un homme et une femme) soulignant et se moquant de l'indigence de la conversation.
Illustrant ses lettres de grands dessins, réalisant des calligrammes (son célèbre trèfle mais aussi des compositions plus savantes), elle évoque également, au fil de sa plume, les figures littéraires et artistiques qu'elle côtoie: Cocteau, Jean Hugo, César, Max Ernst, Paulhan, Dominique Aubry, Jouhandeau, Guy Béart, etc. Parmi eux citons en particulier André Malraux avec lequel elle renoue en 1967 lui écrivant alors tous les jours.
Aux lettres s'ajoute une amusante série de dix cartes postales (la
plupart représentant des chats) dont plusieurs portent tour à tour la seule mention "tristement", "attentivement", "vraiment",
"discrètement", "impossiblement", etc. Mais Maurice Pianzola, dans
une lettre du 13 avril 1964 (conservée à la bibliothèque Jacques Doucet), ne semble pas les apprécier :"Je reçois des chats et
adverbes et je suis furieux des "tristement" etc... tes chats sont
tristes, Louise, [...] et je n'ai guère envie de rire".
1υeυr déc. 1961: "Je me réjouis à la folie de te revoir et je n'ai pas besoin de te dire que je ne viens à Genève que pour cela. L'exposition Jean Hugo n'est que prétexte..."
24 oct. 1963: "Nous sommes très frappés, très attristés par la mort de Jean Cocteau..."
24 nov. 1963: "La vie sans toi ne vaut rien. [...] Je sais que j'ai tort de te le dire [...]. Je ne te dirai plus ni que je t'aime, ni que je souffre de t'aimer et j'espère qu'à l'avenir mes lettres n'illustreront que mesure et raison... Franchement j'ai du mal à me passer de toi..."
11 déc. 1963: "Mon coeur est entre tes mains. Position dangereuse."
14 déc. 1963: "J'ai passé deux heures avec André Malraux. Deux très belles heures... Personne n'est plus loyal que cet homme-là, plus soucieux, plus soigneux des sentiments qu'il inspire ou éprouve. Tout ce qu'il dit est empreint d'une sincérité violente et il a autant d'imagination dans le coeur que dans l'esprit. C'est un devin. Mon frère André et lui sont mes seuls confidents depuis que Jean Cocteau est mort..."
16 déc. 1963: "Je t'aime peut-être un peu trop mais qu'importe, puisque je t'aime à ma façon c'est-à-dire sans mesure... Ce qu'il y a de gênant avec moi c'est que je suis moi. J'encombre et j'en souffre... J'ai la nostalgie du temps désert où tu n'apparaissais pas..."
20 déc. 1963: "J'ai passé la soirée... avec César. Il est fort inquiet... Il ne sait plus comment s'exprimer. Il ne veut plus comprimer des automobiles. Il regarde son oeuvre comme une plaisanterie... admire Max Ernst et se détourne avec dédain des milliers de manifestations prétentieuses de la peinture intellectuelle où le hasard joue un rôle plus évident que l'intention."
4 janvier 1964: "Mon amour pour toi est sans prétention; c'est un amour rêveur qui attend et entend les mots rêvés, voilà tout. Tu alimente [sic] mieux ma méfiance que mon amour... Je n'ai pas plus envie de contrarier, par ma présence exentrique [sic], le cours bien établi de ta vie habituelle, que je ne veux m'abaisser, mendier, être méjugée par toi..."
7 janvier 1964: "Au fond tu me dégoutes et plus les jours passent moins je t'aime... Pourquoi m'attarderais-je à te convaincre de la sincérité d'un sentiment qui ne t'est pas nécessaire ?... La réalité que je t'ai inventée, l'importance extrême que je t'ai donnée pendant quelques mois, dans mes pensées, ne m'en impose plus... j'aimais quelqu'un qui n'existe pas et que j'aimerais encore à la folie, si tu n'avais eu la triste sagesse de m'en décourager..."
21 janvier 1964: "Il n'y a de poëte ni dans toi, ni chez toi; donc pas de mouvement: la raison est immobile. Je le savais mais tu me l'avais fait oublier... J'ai poursuivi, à la conquête de ton coeur, un chemin dont je ne puis te décrire les méandres, les écueils et les soudains paysages d'autant plus trompeurs qu'ils étaient plus heureux... Tu viens de m'appeler. Tout a changé... Je te demande pardon. Ma raison est moins forte que ma déraison..."
10 nov. 1967: "Il y a je ne sais combien de mois que les très affectueux sentiments que tu ne cesses de m'inspirer restent à l'état confidentiel puisque je ne les adresse qu'en pensée..."
La bibliothèque littéraire Jacques Doucet possède, don des héritiers de Louise de Vilmorin, une centaine de lettres adressées par Maurice Pianzola à cette dernière, entre 1963 et 1968 (MS 31163). Moins enflammées que celles de Louise, ces lettres sont le témoignage d'une tendre confiance et d'une grande amitié: "Moi, je sais tout ce que tu me donneras pas ta présence, ta vitalité pas du tout désordonnée et si je te l'ai dit au téléphone, de ne pas avoir trop d'illusions, c'est parce que je crains de te voir déçue" (lettre du 8 janvier 1964). Quelques années plus tard, le 5 mai 1967, il écrit: "Je pense à toi, à ton incroyable bonté, à ces moments que tu me donnes".