Notes
Envoûutante, connue des initiés amateurs d'art brut et d'art populaire, l'oeuvre d'Henry Darger offre une profondeur et une cohérence rarement atteinte dans la vie d'un artiste. Complexe, son travail ne peut être compris qu'en le replaçant en perspective d'une particulièrement singulière. Né en 1892 à Chicago, Henry Darger perd très tôt ses parents, d'abord sa mère à l'âge de quatre ans, puis son père âgé seulement de huit ans. Pris en charge par un établissement catholique, Darger se révèle perturbé, instable. Il parle seul, s'emporte, rejeté par les enfants qu'il fréquente, incompris par les adultes qui l'entourent et auquel il s'oppose violemment. Hostile à toute forme d'autorité, les médecins finissent par le faire interner dans un des centres les plus durs en matière de traitement, l'Institut Lincoln près de Chicago. Il se replie de plus en plus sur son propre monde mais tente à plusieurs reprises de fuguer. C'est lors d'une de ces tentatives qu'il se retrouve confronté à une très importante tempête, vision qui restera profondément ancré dans son esprit et dans son oeuvre.
Lors d'une nouvelle évasion, il parvient à trouver refuge chez sa marraine à Chicago qui, pour lui venir en aide, lui trouve une place de portier dans un hôpital catholique, place qu'il occupera désormais jusqu'à son départ à la retraite en 1963. Commence alors une vie parfaitement orchestrée et solitaire. Dans son petit appartement qu'il va occuper pendant plus de quarante ans, Darger recrée un univers à part, hors d'une réalité de l'existence qui l'a déjà tant éprouvé. Il y collecte toute forme d'objets, de revues, de magazines qui vont nourrir son imaginaire.
Dans cet endroit hors du temps et hors du monde, il entreprend l'oeuvre de sa vie, In the Realms of the Unreal, colossal ouvrage composé de plus de quinze mille pages sur lesquelles il raconte par le dessin l'histoire qui anime sa vie. En effet, les traumas d'une enfance "anormale", les violences reçues par les adultes, l'ont conduit à imaginer le récit de cette guerre épique qui opposent d'un côté l'empire d'Abbieannia, nation composée d'enfants innocents, et de l'autre celui de Glandelinia, nation maléfique peuplée d'adultes violents qui tentent de réduire en esclavage ces derniers. Les personnages centraux du roman graphique de Darger sont les Vivian sisters, les filles de l'empereur d'Abbieannia, qui tentent - avec l'aide du Capitaine Henry Darger - par tous les moyens de secourir les enfants menacés par les troupes adultes du terrible John Manley.
Sans titre est un des plus bels exemples de ce récit illustré fantastique dont les niveaux de lecture s'entremêlent. Eminemment obsessionnelle, l'oeuvre de Darger est alimentée par cette peur de la vulnérabilité, de la persécution vis-à-vis du monde des adultes contre lequel il entend se poser en protecteur d'une innocence menacée qui fait écho à sa propre vie.
Découvert a posteriori par les propriétaires de l'appartement qu'il occupait jusqu'en 1963, Nathan et Kiyoko Lerner, le travail de Darger occupe une place à part dans le paysage artistique du XXème siècle par sa richesse, son contexte de création et sa portée. Aujourd'hui présenté dans les plus grandes collections publiques, du MoMA, de l'American Folk Art Museum, de l'Art Institute de Chicago, du Walker Art Center ou encore de la Collection de l'Art Brut de Lausanne, il est une référence pour de nombreux artistes contemporains, de Grayson Perry à Jack et Dinos Chapman.
Little known except among initiates of outsider and popular art, Henry Darger's work offers a depth and coherence rarely achieved in an artist's lifetime. A complex body of work, it can only be understood when contemplated from a particularly unique perspective. Born in 1892 in Chicago, Henry Darger lost both of his parents at an early age: his mother died when he was aged four, followed by his father when he was only eight years old. Taken in by a Catholic institution, Darger proved to be unstable and disturbed. He talked to himself and suffered fits of rage, and was rejected by the other children and misunderstood by the adults around him, with whom he was in violent confrontation. Hostile to any type of authority, the doctors locked him away in one of the most severe treatment centres, the Lincoln Institute near Chicago. He receded ever further into his own world, but tried to run away on various occasions. It was during one of these escape attempts that he found himself caught in a major storm, a vision that would remain deeply anchored in his psyche and in his work.
During another escape, he managed to reach his godmother's house in Chicago. She decided to help him and found him a job as a porter in a Catholic hospital, a position that he would retain until his retirement in 1963. That was when he began a perfectly structured and solitary existence. In the small apartment where he lived for over 40 years, Darger recreated his own world, separate from the existence that had been so trying for him. He collected all kinds of objects, journals, and magazines that would feed his imagination, and in this timeless, otherworldly place, he began his life's work.
In the Realms of the Unreal is a colossal work made up of over 15,000 pages, upon which he recounts his life's tale through drawings. Indeed, the trauma of an "abnormal" childhood and abusive adults led Darger to imagine an epic war between the empires of Abbieannia, a nation inhabited by innocent children, and Glandelinia, an evil nation inhabited by violent adults who sought to enslave the children. The main characters in Darger's graphic novel are the Vivian sisters, daughters of the Abbieannian emperor, who - with the help of Captain Henry Darger - do all in their power to rescue the children threatened by the adult troops of the terrible John Manley.
Untitled is one of the finest examples of this illustrated fantasy that can be understood on several interlaced levels. Eminently obsessional, Darger's work is nourished by this fear of vulnerability, of persecution from the adult world against which he intends to intervene to protect an endangered innocence that echoes his own life.
Discovered posthumously by Nathan and Kiyoko Lerner, the owners of the apartment in which Darger lived until 1963, his work holds a special place in the art of the 20th century through both its richness, creative context, and reach. Currently on display in some of the biggest public collections, from MoMA, the American Folk Art Museum, the Art Institute of Chicago, the Walker Art Center, or the Collection de l'Art Brut de Lausanne, it is a source of inspiration for a number of contemporary artists, from Grayson Perry to Dinos Chapman.