Notes
Art moderne africain
Un regard avant-gardiste
Depuis les années 1980, Pierre Loos a constitué une collection unique au monde
d’œuvres représentatives de l’art moderne congolais réalisées entre les années
1920 et 1960. C’est auprès d’un ami antiquaire, à qui il rend visite à la recherche
d’objets africains, que Pierre découvre une farde dans laquelle sont conservés
des dessins au crayon, à l’aquarelle ou à l’huile, signés de Bela, Pilipili, Mwenze et
d’autres artistes moins connus. Conscient que ces dessins sont les trésors réalisés
dans les années 1950 à l’atelier du Hangar à Elisabethville (Lubumbashi), il se met
en quête et parvient à rassembler une centaine d’œuvres pour constituer le noyau
d’une collection qui compte parmi les créations artistiques les plus fortes et les
plus emblématiques d’un continent.
Une partie de cette collection constituait la première section de l’exposition à
succès Beauté Congo, 1926 – 2015, Congo Kitoko, qui s’est tenue à la Fondation
Cartier en 2014 et 2015. Cette exposition a révélé au grand public la qualité et
la diversité d’une production artistique majeure, bien que jusqu’alors quasiment
inconnue du grand public.
Cette peinture moderne congolaise frappe par sa singularité et sa modernité. On
doit ces témoignages des scènes de villages, de vie dans la nature, de chasse et
de pêche aux amateurs d’art visionnaires qu’ont été Georges Thiry, fonctionnaire
colonial belge dans les années 1920 et Pierre Romain-Desfossés, marinier français
après la guerre. Tous les deux, à différentes périodes, ont vu et ont su identifier,
encourager et susciter le talent d’artistes qui utilisaient les cases comme support
de leur art.
En fournissant à ces naïfs du papier et des couleurs, Thiry et Romain-Desfossés
ont laissé les artistes s’exprimer, conter leurs fables sur un continent où prime
la tradition orale. Ils ont ainsi contribué à témoigner d’une période révolue, à
rédiger une page de l’histoire de l’art, peut être l’une des premières écrite à l’abri
de l’hégémonie occidentale.
Un ouvrage à sortir fin 2019 contribuera à faire mieux connaître cette collection,
à juste titre considérée comme l’une des plus importantes du monde, mais aussi à
donner à cette peinture congolaise les lettres de noblesse qu’elle mérite.
C’est la première fois qu’est offert sur le marché de l’art un tel ensemble d’œuvres
modernes congolaises de qualité muséale.
Modern African Art
An avant-gardist vision
Since the 1980s, Pierre Loos has created a unique collection of modern Congolese
works of art made between the 1920s and 1960s. It is with a friend antiquarian,
to whom he visits to research of African objects, that Pierre discovers a folder in
which are preserved drawings in pencil, watercolor or oil, signed by Bela, Pilipili,
Mwenze and other less known artists. Aware that these drawings are the treasures
made in the 1950s at the workshop of the Hangar in Elisabethville (Lubumbashi),
he goes on a quest and manages to gather a hundred works to form the core of a
collection that counts among the strongest and most iconic artistic creations of
a continent.
Part of this collection was the first section of the successful exhibition Beauté
Congo, 1926 - 2015, Congo Kitoko, held at the Fondation Cartier in 2014 and 2015.
This exhibition revealed to the general public the quality and the diversity of a
major artistic production, although until then almost unknown to the general
public
This modern Congolese art is striking for its singularity and modernity. We owe
these testimonies of scenes of villages, life in nature, hunting and fishing to
visionary art lovers that were Georges Thiry, Belgian colonial official in the 1920s
and after the war to Pierre Romain-Desfossés. Both, at different times, have seen
and identified, encouraged and inspired the talent of artists who used the huts as
a support for their art.
By supplying these naïve people with paper and colors, Thiry and Romain-Desfossés
allowed the artists to express themselves, to tell their fables on a continent where
oral tradition prevails. They helped to witness a bygone era, to write a page in the
history of art, can be one of the first written aside from Western hegemony.
A book to be released in late 2019 will help to increase awareness of this collection,
rightly considered one of the most important in the world, but also to give this
Congolese painting the letters of nobility it deserves.
This is the first time that such a collection of modern museum-quality Congolese
works of art has been offered on the art market.
Pilipili
Pilipili est le fils d’un pêcheur et travaille comme peintre en bâtiment et plombier
aux Travaux Publics quand il rencontre Romain-Desfossés qui l’intègrera au Hangar
après 1947. Il en sera l’un des artistes les plus talentueux.
S’il applique parfois un style décoratif avec force de motifs sériels et répétitifs, les
dessins de Pilipili témoignent surtout du foisonnement de la nature. Elle semble
scintiller sous de fines touches de couleurs vives, minutieusement appliquées sous
forme de traits, de points et de cercles qui finissent par envahir l’ensemble de
l’espace.
A la mort de Romain-Desfossés, Pilipili intégrera l’Académie des Beaux-Arts de
Lubumbashi en tant que professeur et enseignera notamment au célèbre artiste
Mode Muntu.
Une collaboration unique
Un chef-d'œuvre de l'art
moderne africain
Le paravent réalisé par Pilipili Mulongoy, Bela et Raphaël Kalela est caractéristique
de la deuxième période de l’art moderne congolais des années 1950.
Au début des années 1940, Pierre Romain-Desfossés, attaché au bureau militaire
du haut-commissariat de l’Afrique Équatoriale Française, quitte la France, puis
rejoint Brazzaville pour établir un statut de protection de l’art et de l’artisanat
indigène. Il s’intéresse à l’anthropologie et peint des fonds marins. Rapidement,
naît en lui la volonté de faire vivre la création artistique locale, et il crée en 1946 un
atelier d’art indigène qu’il appelle le « Hangar ». Il recrute alors ses « disciples »
après leur avoir fait passer un test d’entrée. Selon leurs qualités, il les oriente vers
la peinture sur chevalet, la plus prestigieuse, ou vers la peinture décorative ou
publicitaire, également rémunératrices.
Les laissant libres de s’épanouir et d’exprimer leur génie créatif, Romain-Desfossés
montre ainsi qu’il existe en Afrique un art autre que le statuaire et les masques qui
ont inspiré les peintres modernes en Occident. Les œuvres qui sortent du Hangar
vont à l’encontre du conformisme et de l’histoire de l’art officielle, entendue et
autocentrée. L’objectif de Desfossés est de guider ses disciples, sans imposer les
principes de l’art occidental. Au contraire, il les encourage au cours de promenades
dans la brousse et lors de la visite du zoo d’Elisabethville, à s’inspirer de la nature
qui les entoure.
Bien qu’à l’encontre du conformisme, les réalisations du Hangar intéressent les
milieux artistiques européens au point d’être présentées en Belgique, à Paris, à
Rome, à Londres, au MoMA de New York et en Afrique du Sud.
A l’instar d’une fable de la Fontaine, sur un continent où prévaut la tradition
orale, les volets du paravent réalisé à six mains racontent les rongeurs sur le sol,
la végétation luxuriante, le vol des oiseaux, l’alternance des saisons, la vie et puis
la mort.