D. Alsina, 'Louyse Moillon ou la célébration du goût', L'Optimiste, Paris, mars 1992. D. Alsina, 'La Marchande de fruits par Louyse Moillon', L'Estampille, l'Objet d'art, Paris, juin 1992. L. Ryaux, 'La Marchande de fruits', L'Estampille, l'Objet d'art, Paris, juin 1992. P. Ramade, Grand Siècle, catalogue d'exposition, Paris, 1993, p. 214.
Provenance
Vente anonyme; Paris, Hôtel Drouot, 10 avril 1992, lot 37, d'où acquis par le propriétaire actuel.
Notes
Louise Moillon naquit dans une famille de peintres. Son père, Nicolas Moillon, portraitiste et marchand de tableaux, tenait une échoppe sur le Pont Notre-Dame, à l'enseigne du Franc-Gaulois. Son frère Isaac Moillon, peintre d'histoire, fit partie des fondateurs de l'Académie aux côtés de Charles Lebrun. Sa mère épousa en seconde noces le peintre de natures mortes François Garnier. Des documents attestent de la précocité de Louise Moillon: elle dut commencer sa carrière avec son père à l'âge de dix ou onze ans et ses premières oeuvres importantes datent de 1619, alors qu'elle n'avait pas encore vingt ans. Les Moillons étaient protestants et fréquentaient la paroisse de Charenton comme le célèbre graveur et chroniqueur de la vie parisienne des années 1620, Abraham Bosse. L'art de Louise Moillon est apparenté à celui de ses contemporains Jacques Linard, Lubin Baugin (lui aussi installé sur le Pont Notre-Dame) et Sébastien Stoskopff, tous spécialisés dans les natures mortes à Paris au début du XVIIème siècle. Ces peintres étaient influencés par une colonie de peintres hollandais et flamands venus s'installer dans la capitale dans le quartier de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Sous le protectorat de cette abbaye, ces peintres pouvaient en effet exercer leur métier et vendre leurs oeuvres sans faire partie d'une corporation.
Louise Moillon se consacra entièrement à la nature morte. Son oeuvre retrouvé comporte à ce jour une trentaine de tableaux, dont aucun n'est daté après 1641, pourtant l'artiste ne s'éteint qu'en 1696. Il est possible que son mariage en 1641 avec un marchand de bois Etienne Girardot de Chancourt ait mis un terme à sa carrière.
Si les natures mortes de petit format de Louise Moillon s'apparentent à celles de ses contemporains Linard, Stoskopff ou Baugin, les quelques tableaux de grand format comme cette marchande de fruits sont rarissimes dans l'oeuvre de Moillon et dans la peinture française de l'époque (si l'on excepte certaines oeuvres de Sébastien Stoskopff). La plupart des tableaux de Louise Moillon que nous connaissons sont des natures mortes, présentant uniquement un panier ou une coupe de fruits devant un fond sombre. Il est possible que les grandes compositions sur toile aient aujourd'hui disparu en raison de leur division en plusieurs tableaux.
Louise Moillon s'inspire de ses contemporains venus du nord comme Jacob van Hulsdonck, Floris van Schooten et Osias Beert. Mais la présence d'une figure féminine dans cet étalage savamment ordonné rappelle aussi l'art de Jan Fyt et de Frans Snyders.
De ces grands formats et en dehors du présent tableaux on peut citer: Marchande de fruits du Louvre de 1630 (huile sur toile, 121 x 165 cm.); Collation, d'une collection particulière (huile sur toile 116 x 175 cm.); Marchande, bourgeoise et voleur, d'une collection particulière de Londres; et Marchande de fruits à son étal de 1629, d'une collection particulière de New York (huile sur toile, 112 x 152 cm.) voir M. et F. Faré, Le grand Siècle de la nature morte en France, Fribourg, 1976, pp. 49-55. Dans ces tableaux, les figures féminines ont presques toutes le même visage et s'inspirent parfois assez directement pour les attitudes et les costumes des gravures d'Abraham Bosse.
Notre tableau est l'unique exemple de tableau peint sur bois de cette dimension dans l'oeuvre de Moillon. Ce support permet de rendre toute la transparence et le velouté des fruits. Le spécialiste de Louise Moillon, Monsieur Dominique Alsina, considère notre tableau comme parmi les plus importants de l'artiste. Dans les deux articles qu'il consacra à notre Marchande de Fruits, Monsieur Alsina a remarqué que les trois natures mortes agencées sur la table avaient été reprises par Louise Moillon, isolées cette fois, dans d'autres tableaux.
En effet l'assiette de citrons et de bigarades peut être rapprochée d'une nature morte au Musée Norton Simon à Pasadena (huile sur panneau, signée et datée de 1634), le panier de pêches, pommes et raisins est semblable à plusieurs natures mortes de Louise Moillon comme, par exemple, Corbeille de pêches et de raisins du Musée de Karlsruhe (huile sur panneau, 48 x 68 cm. signé et daté 1631); et l'assiette en métal avec les prunes sur la droite existe pratiquement identique dans un tableau du Musée de Strasbourg, Prunes et boîte à copeaux (huile sur panneau, 36,2 x 51,4 cm), signé et daté de 1632. Monsieur Dominique Alsina date le tableau avant toutes ses oeuvres dans les années 1629-1630.
Les fruits de ce tableau sont le reflet de la réalité économique de l'époque: les pommes et les prunes étaient fréquentes, les pêches, consommées couramment étaient censées prévenir l'ébriété si elles étaient consommées avant un repas; les citrons, oranges et bigarades (oranges amères), étaient en revanche plus rares car cultivés en serres ou achetés aux marchands gênois au printemps.
Il ne faut ainsi probablement pas chercher de sens caché à ces natures mortes de Louise Moillon mais plutôt une certaine contemplation de la nature, une célébration de ses bienfaits et une méditation sur sa beauté. Michel et Fabrice Faré ont souligné cet aspect dans leur ouvrage sur la nature morte du XVIIème siècle en France: 'Les tableaux de Louise Moillon ont le mérite essentiel de témoigner de l'absolue sincérité de leur auteur. Eprise de la réalité la plus humble et la plus quotidienne elle se refuse aux effets décoratifs. Elle nous touche par son talent scrupuleux soumis à la vérité de l'objet qu'elle s'applique à reproduire', M. et F. Faré, Op. cit., Fribourg, 1974, p. 56.
Dominique Alsina, qui incluera le présent tableau dans son catalogue raisonné de Louise Moillon actuellement en préparation commente en ces termes notre tableau: 'Ce statisme, chez ce maître du temps suspendu qui détache ses notes comme le ferait un compositeur, n'est pas un défaut mais un parti pris. Son public savait certainement apprécier ce que suggère de mystère et de méditation cette immortalité. La saveur des fruits, des pommes, des raisins acides avec quelques pêches- représente tout ce que la nature met à la disposition des hommes qui ont su planter, sarcler, émonder, greffer, tailler pour recueillir le meilleur avec ce que cela suppose de persévérance, d'organisation, de patience. Toute une société est présente sur cet tableau dont on connaissait alors parfaitement le prix', D. Alsina, 'Louyse Moillon ou la célébration du goût', dans l'Optimiste, Paris, mars 1992, p. 7.
THE FRUIT MERCHANT, OIL ON PANEL BY LOUISE MOILLON