Description
Georg FLEGEL (Olomouc, Moravie 1566 - Francfort-sur-le-Main 1638)
Memento mori au bouquet de tulipes, insectes, coquillages et pièces de monnaies
Toile
35 cm x 27 cm
Bibliographie de référence :
- I. Bergstrom, Flegel , dans L'Oeil, juin 1963, n° 102, pp. 3-6.
- S. Segal, "Georg Flegel as flower painter", dans Tableau, décembre 1984, vol 7, n° 3, pp. 73-86.
- Hrsg. von Kurt Wettengl, Georg Flegel, 1566 - 1638: Stilleben, Stutgart, 1993.
- H. Seifertova-Korecka, "Still Life. Painter Georg Flegel and His Time", dans Georg Flegel (1566 - 1638), Zatisi, Praga, 1994, pp. 178 - 187.
- A.-D. Ketelsen-Volkhardt, Georg Flegel, 1566 - 1638, Munich, 2003.
Si la nature-morte a connu, à partir du début du XVIIème siècle, un rôle de plus en plus important dans l'histoire des genres picturaux, c'est grâce aussi à l'aeuvre singulière d'artistes comme Georg Flegel.
La critique la plus récente assigne, en effet, à ce peintre si rare le rôle de chef de file.
Apparus entre la fin de XVIème et le début du XVIIème siècle à Francfort, à Haarlem et à Anvers, les déjeuners monochromes sont le fruit d'un choix innovant de quelques peintres spécialisés dans l'insertion de fruits et de fleurs dans des toiles de vastes dimensions aux banquets, jardins ou scènes de marché.
La partie semble donc vouloir prévaloir sur le tout, et le microcosme symbolique des nature-mortes impose une pause de réflexion presque métaphysique au chaos turbulent des grandes scènes de la vie quotidienne.
L'expression nature-morte est la traduction du terme hollandais Still-Leven, traduisible par la périphrase nature au calme ; terme en usage déjà en 1650 pour indiquer la représentation de sujets inanimés.
Spécialement dans la première phase historique du genre, la mise en scène d'objets quotidiens, de fleurs ou d'insectes, est normalement caractérisée par de fortes valences symboliques.
Contenu moral ou symbole de la caducité de l'existence humaine, les éléments qui forment le tableau assument une identité objective, soit naturaliste, soit symbolique.
Un nouveau regard sur les choses nous approche à elles et en elles il traduit nos peurs, nos espoirs ou un message universel.
Georg Flegel naît à Olomouc, un important centre humaniste de Moravie qui, après Prague, se place au second rang des cités du royaume tchèque. Jeune, il travaille à Linz dans l'atelier du peintre hollandais Lucas van Valckenborch, connu pour ses scènes de travaux des champs, ses fêtes villageoises et les scènes de marché. C'est dans cet atelier que Flegel se spécialise dans le rendu détaillé et microscopique des fleurs, gâteaux, verres en cristal et vases en bronze richement ornés.
Quand il s'installe à Francfort et qu'il exerce librement le métier de peintre, les mêmes objets deviennent les sujets de ses nature-mortes, accompagnées d'insectes et de coquillages d'espèces différentes, comme dans ce Memento mori inédit que nous présentons ici.
Avec un effet savamment calculé de trompe-l'aeil, un vase très étudié repose sur un entablement de pierre.
La composition florale est, elle aussi, très recherchée et se détache nettement sur un fond uniformément sombre. Au pied du vase, quelques monnaies, un coquillage, une petite grenouille, un escargot et un autre petit insecte complètent le message moraliste clairement anticipé par le décorum de ce vase.
Le médaillon visible au centre de ce dernier est, en effet, gravé non seulement de l'image d'un crâne et de deux fémurs croisés, symbole évident du temps qui passe, de la mort, mais aussi de la devise latine memento mori.
Les anses représentent deux béliers, probablement une interprétation des bucranes d'époque classique. Chez les Anciens mais aussi chez les Celtes, le bélier représentait, cependant, la force régénératrice de l'univers et l'origine de la vie.
Le temps qui fuit menace ici les fleurs, bien qu'elles paraissent resplendissantes et luxuriantes. Parmi elles, en effet, une ombre obscure s'est introduite, et déjà une d'entre elles, précisément la rose, au centre de la composition, montre les premiers signes de son déclin inéluctable.
Tempus fugit: c'est donc l'avertissement qui est ici lancé aux hommes.
Le message se prolonge dans la partie basse du tableau et s'adresse principalement aux choses terrestres, représentées ici par les monnaies éparpillées au sol.
A côté d'elles, l'indifférence des insectes et de la grenouille nous rappellent la vacuité de l'enrichissement.
Notre tableau appartient donc au corpus, très limité, des nature-mortes inventées par Flegel selon une mise en scène équilibrée, avec un vase de fleurs en position centrale et quelques objets ou créatures vivantes, grandes ou petites, à ses pieds.
La composition est calibrée dans ses détails, fruit d'un choix analytique qui reflète le caractère intellectuel de l'artiste.
Si l'un des buts est de vouloir rendre la scène la plus naturaliste qui soit, en réalité l'effet final est vraiment théâtral et artificieux.
Les vases en bronze décorés sont présentés normalement frontalement, pour rendre visibles en même temps les anses et le médaillon central. Celui-ci constitue le vrai centre de la composition, à partir duquel se diffusent les autres symboles.
À la fin du XVIème siècle, il faut mentionner la présence à Francfort d'une école d'études botaniques, incarnée de manière excellente par le botaniste français Carolus Clusius (Charles de L'Ecluse), qui y réside de 1588 à 1592. Ces études deviennent déterminantes pour Flegel qui connaît parfaitement le travail de miniaturistes comme Georg ou Joris Hoefnagel, qui collabore lui aussi avec Valckenborch.
Les exemples les plus proches de notre Memento mori sont la Nature morte au vase de fleurs et cristaux (Château de Cervena Lhota, Bohême), le Vase de fleurs aux cruches de cristal (ancienne collection Rafael Valls, Londres et surtout le Vase de fleurs, monnaies et grenouille (Cambridge, Fitwilliam Museum).
Datable des premières années du XVIIème siècle, cette dernière nature-morte est presque superposable à la nôtre, si ce n'est quelques différences évidentes dans le traitement spécifique des fleurs et de la partie basse du tableau.
En ce qui concerne les fleurs, c'est surtout la rose fanée qui manque dans la version anglaise, tout comme les deux tulipes qui figurent dans notre Memento mori.
En revanche, d'autres insectes et coquillages, d'une typologie différente, envahissent le microcosme qui peuple l'entablement en pierre.
Le vase est presque identique dans les deux versions, sauf quelques variantes dans la décoration et dans le traitement chromatique. Ces différences mises à part, le format vertical du support, l'atmosphère, le style, le trait, la diffusion de la lumière, le point de vue central sur la table ainsi que la qualité sont les mêmes. Un sens presque métaphysique de suspension magique gouverne ces deux peintures.
Les éléments qui dominent la scène, statiques et figés dans une sorte d'éternité parfaite, sont tous mis en pleine lumière ou placés légèrement dans l'ombre, selon un choix propre à Flegel.
Dans les nocturnalia, genre auquel se rattache notre tableau, le peintre privilégie une lumière artificielle, en évitant les nuances naturelles de l'ombre et les divisions réalistes en plans successifs.
Les masses et les volumes prennent forme par coups uniformes de pinceau.
Elles structurent les choses solidement pour leur donner une présence physique. Puis c'est aux touches de pinceau plus menues et grumeleuses de créer les accents toniques du tableau.
De telle manière que les masses peuvent vibrer à la lumière et assumer un aspect précieux et quasi magique.
La grenouille, l'abeille et les tulipes de notre peinture dérivent d'une série d'aquarelles conservées au Cabinet des Dessins du Staatliche Museum de Berlin.
Si ces études n'ont pas été créées comme des modèles directs pour les tableaux de Flegel, elles forment une ensemble documentaire unique, rassemblant les fleurs les plus rares au comble de leur beauté ; en hommage à la Création.
C'est d'ailleurs à la même époque, mais à Milan, que le cardinal Federico Borromeo, grand collectionneur de nature-mortes flamandes et hollandaises, confesse dans son étude Pro Suis Studiis, que la contemplation des peintures de fleurs le stimule dans sa méditation sur la perfection terrestre et la bonté de Dieu.
Finalement, les nature-mortes de Flegel font aussi surgir en nous l'admiration spontanée pour la beauté de notre monde.