Description
Gabriel de Saint-Aubin Paris, 1724 - 1780
La "Vénus" de Mignot au Salon de 1757
Plume et encre noire, lavis gris et rehauts de lavis brun et de gouache blanche, sur trait de crayon
Annoté 'Sallon de 1757. Figure de M. Mignot (?)' dans le bas
Porte une marque de monteur non identifiée (L.3536) en bas à gauche
'MIGNOT'S 'VENUS' AT THE 1757 SALON', PEN AND BLACK INK, GREY WASH, INSCRIBED, BY G. DE SAINT-AUBIN
h: 13,20 w: 16 cm
Provenance : Collection Edmond et Jules de Goncourt, leur cachet (L.1089) en bas à gauche ;
Leur vente, Paris, Hôtel Drouot, Me Duchesne, 17 février 1897, n° 273 (2.250 fr., acquis par Thomas Piétri) ;
Collection Jacques Doucet ;
Sa vente, Paris, galerie Georges Petit, 5-8 juin 1912, n° 48 (14.250 fr. à Paulme) ;
Collection Georges Dormeuil, son cachet (L.1146a) en bas à droite, n° 112 du catalogue Paulme ;
Puis par descendance
Expositions : 'Exposition de dessins de maîtres anciens', Paris, Ecole des Beaux-Arts, 1879, n° 601
'Exposition des Saint Aubin', Paris, hôtel Jean Charpentier, 1925, n° 28, pl. V
Bibliographie : Edmond et Jules de Goncourt, 'Notules, additions, errata...', Paris, 1875, p. 41
'Recueil de 112 photographies tirées par la maison Braun d'après 113 dessins de la collection Goncourt', 1879, 93 (Paris, B.N., cabinet des Estampes, inv. Aa. 80 a, in-f°)
Philippe de Chennevières, "Les dessins de maîtres anciens exposés à l'Ecole des beaux-arts", in 'Gazette des Beaux-Arts', 1879, II, p. 210
Philippe de Chennevières, 'Les dessins de maîtres anciens exposés à l'Ecole des beaux-arts' (tiré à part des articles parus en 1879 dans la 'Gazette des Beaux-Arts'), Paris, 1880, p. 115
Edmond et Jules de Goncourt, 'L'Art du XVIIIe siècle. I. Les Saint Aubin', Paris, 1880-1882, p. 374 et pl. 450, repr. et réed. 1881-1882, II, p. 122 et p. 230
Edmond et Jules de Goncourt, 'La maison d'un artiste', Paris, 1881, vol. I, p. 149-150
Adrien Moureau, 'Les Saint-Aubin', Paris, 1894, p. 72
Emile Dacier, 'Catalogue de ventes et livrets de Salons illustrés par Gabriel de Saint-Aubin', Paris, 1909-1921, t. I, p. 26, repr. p. 9
'Société de reproduction des dessins de maîtres. Collection Georges Dormeuil', 1911
Andreas Lindblom, "Quelques sculptures françaises du XVIIIe siècle en Suède", in 'Revue de l'art ancien et moderne', 1924, p. 109, n° 3, repr. p. 111
'Le Figaro artistique', 16 avril 1925, repr. p. 420
Camille Gronkonwski, "L'exposition des Saint-Aubin", in 'Revue de l'art français ancien et moderne', 1925, p. 177, repr. p. 176
Emile Dacier, 'Gabriel de Saint Aubin', Paris-Bruxelles, 1929-1931, t. I, pl. XXX et t. II, p. 149, n° 829
Christiane Aulanier, 'Histoire du palais et du musée du Louvre II. Le salon Carré', Paris, 1950, p. 27 et 76, fig. 8
Michèle Beaulieu, "Note à propos d'un petit marbre inédit de Pajou", in 'Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art français', Paris, 1958 (1959), p. 42
Elisabeth Launay, 'Les frères Goncourt collectionneurs de dessins', Paris, 1991, p. 456-457, n° 309, fig. 295
Kim de Beaumont, 'Reconsidering Gabriel de Saint-Aubin (1724-1780): The Background for His Scenes of Paris', Ph.D. dissertation, New York University, Institute of Fine Arts, 1998 (university microfilms, Ann Arbor, 2002), p. 423-424, fig. 215
Colin B. Bailey, "Saint-Aubin : "l'inlassable et l'inclassable curieux"", in cat. exp. 'Gabriel de Saint-Aubin 1724-1780', Paris, 2007, p. 70, fig. 1
Kim de Beaumont, "Les Salons de Gabriel de Saint-Aubin (1724-1780)", in Isabelle Pichet (ed.), 'Le Salon de l'Académie royale de peinture et de sculpture: Archéologie d'une institution', Paris, 2014, p. 24-25
Commentaire : C'est un autre aspect - sans doute le plus célèbre - de l'œuvre de Gabriel de Saint-Aubin que nous fait découvrir ce deuxième dessin de la collection Dormeuil. Dessinateur avant tout, incorrigible curieux, ne circulant jamais sans crayon ni papier, " calquant, croquant, dessinant dans les jardins, les salons, les ventes, les places publiques1 ", Gabriel de Saint-Aubin se fit l'observateur et le chroniqueur de la vie parisienne de la seconde partie du XVIIIe siècle. Aucun sujet n'échappe à sa plume et il ne manque aucun des événements culturels de la capitale qu'il s'attache à retracer sur le papier avec beaucoup de dextérité et d'esprit.
Le Salon, exposition biennale de l'Académie royale qui se tenait au Louvre, figurait naturellement parmi les rendez-vous incontournables de Paris. Entre les œuvres exposées du sol au plafond et la diversité des visiteurs, ces expositions offrirent à Saint-Aubin la possibilité de réaliser les œuvres qui font encore aujourd'hui sa notoriété, qu'il s'agisse des grandes vues panoramiques à l'aquarelle (citons par exemple celle de 1765 au musée du Louvre) ou des petites illustrations en marges des livrets, irremplaçables témoignages pour les historiens de l'art. Nous conservons des vues des Salons par Saint-Aubin allant de celui de 1753² à celui de 17793.
Celle que nous présentons ici nous donne un aperçu de l'exposition de 1757, qui abrita notamment le célèbre portrait de la Marquise de Pompadour à la robe verte de François Boucher (Munich, Alte Pinakothek) représenté sur une autre vue de ce Salon par Saint-Aubin4. Fait plus rare, c'est à la sculpture que la priorité est donnée sur notre dessin, dont le sujet principal est un plâtre d'un artiste aujourd'hui peu connu, élève d'Antoine Vassé et de Jean-Baptiste Lemoyne, Pierre Mignot, ainsi décrit dans le livret du Salon : " Vénus qui dort. Cette figure est de la même proportion que l'Hermaphrodite antique et doit faire son pendant. ". Le marbre, exposé quatre ans plus tard, a pu être identifié grâce à notre dessin et entra en 1957 dans les collections de la City Art Gallery de Birmingham (fig. 1). La référence à l'Hermaphrodite de la collection Borghèse (musée du Louvre) y est en effet sensible, tant dans la nudité idéale de ces deux divinités endormies dans une posture quelque peu lascive que dans le matelas de marbre sur lequel elles sont couchées, Mignot reprenant ici le modèle du lit que le Bernin avait réalisé pour l'Hermaphrodite en 1619.
D'autres œuvres sont également identifiables sur notre dessin. Nous reconnaissons dans les deux statues sur des piédestaux à gauche une Nymphe de Falconet et un buste de Louis XV de Lemoyne, œuvres qui semblent aujourd'hui avoir disparu. Moins détaillés, des tableaux sont cependant visibles accrochés au mur et nous pouvons reconnaître dans celui placé en haut à gauche les jambes du vieillard Cimon de la Charité romaine de l'italien Giuseppe Baldrighi (Angers, musée des Beaux-Arts, fig. 2).
Mais revenons au sujet central de notre dessin, la Vénus de Pierre Mignot, à laquelle Saint-Aubin a donné beaucoup de grâce et de sensualité, et qui semble ici être faite plus de chair que de plâtre. Certains artistes et critiques avaient d'ailleurs suspecté Mignot d'avoir moulé sa figure sur un corps vivant… Quelque soit la méthode employée par l'artiste pour obtenir un tel degré de réalisme, les limites de la décence semblent avoir été atteintes et la Correspondance littéraire relate : " On a fait la sottise d'exiger de l'artiste de couvrir de feuilles certaines parties du plus beau corps du monde, c'était le moyen de la rendre indécente5". Le léger parfum de scandale entourant cette Vénus ne manqua certainement pas d'attirer un large public au Salon et ça n'est certainement pas par hasard que Saint-Aubin a choisi de la représenter, avec son humour habituel, entourée de visiteurs dont les réactions vont du choc à la concupiscence. Nous noterons par exemple les deux figures conspirant à l'ombre de la baigneuse de Falconet, le mouvement de recul du jeune homme au centre de la composition tandis que son voisin avance une main vers la jambe de la déesse, ou encore le calme apparent du dignitaire oriental à droite, pour qui la confrontation avec la représentation d'un nu féminin dans un lieu public devait pourtant être une expérience peu familière.
Cet aperçu du Salon de 1757 transmis par Saint-Aubin est aussi séduisant que devait l'être cette Vénus et nous comprenons dès lors que cette petite feuille ait retenu l'attention des prestigieux collectionneurs auxquels elle a appartenu à commencer par les frères Goncourt, dont le goût pour le XVIIIe siècle et Gabriel de Saint-Aubin n'est plus à démontrer. Elle figura également dans la collection de Jacques Doucet, au sein de laquelle elle devait admirablement dialoguer avec L'Académie particulière du même Saint-Aubin, et fut acquise par Marius Paulme pour le compte de Georges Dormeuil lors de sa vente en 1912.
Nous remercions Madame Kim de Beaumont de nous avoir aimablement confirmé l'authenticité de ce dessin d'après une photographie.
1. Anonyme, Janot au Sallon, 1779, p. 6, cité par Colin B. Bailey in cat. exp. op. cit., 2008, p. 73.
2. Gravée à l'eau-forte, voir cat. exp. op. cit., 2008, n° 69
3. Paris, musée du Louvre, ibid.. n° 72
4. Ce dessin qui fut gravé par Gaucherel était joint à un exemplaire de dédicace à Madame de Pompadour du Discours sur la peinture et sur l'architecture de Du Perron publié à Paris en 1758, voir Dacier, op. cit., 1931, p. 163, n° 891
5. Octobre 1757, édition de 1813, p. 257