Description
EDMOND DE GONCOURT (1822-1896). Journal. 1872, 1873, 1874, 1875, 1876 et 1877.
6 volumes in-4 (272 x 217 mm). Manuscrit autographe de 218 feuillets, encre noire ou violette au recto seulement. Tome I: ff. 1 à 45 (becquet folio 44); Tome II: ff. 47 à 65 (dont un feuillet 48bis); Tome III: ff. 67 à 107; Tome IV: ff. 109 à 162; Tome V: f. 1 puis ff. 3 à 36; Tome VI: ff. 1 à 24 (13 & 14 sur la même page). Biffures et corrections à l'encre noire, indications du typographe au crayon bleu. Chaque feuillet est composé de fragments découpés et très soigneusement contrecollés bord à bord. Reliure signée Lortic fils, maroquin moutarde, double filet doré encadrant les plats frappés de la devise des Hugo "EGO HUGO", roulette intérieure dorée, tranches dorées.
COPIE AUTOGRAPHE, RESTÉE INCONNUE, DE SIX ANNÉES DU CÉLÈBRE JOURNAL DES FRÈRES GONCOURT.
Ce manuscrit de travail, destiné à l'éditeur Charpentier pour son édition du Journal (dont la publication s'étale entre 1887 à 1896), semble bien être une mise au net avant l'impression des épreuves comme en témoignent les passages raturés et les nombreuses indications du typographe. Les quelques variantes relevées par rapport à la version publiée chez Charpentier viennent de ce qu'Edmond de Goncourt a lui-même retravaillé les épreuves par par la suite.
Le manuscrit ne comporte pas d'inédit et les passages raturés figurent bien dans le manuscrit du Journal conservé à la Bibliothèque nationale de France et que le célèbre diariste ne souhaitait voir publier qu'après sa mort. Aussi, soucieux de ne livrer au public qu'une version expurgée, s'est-il astreint à un minutieux travail de censure.
Si l'on ignore comment ce manuscrit est arrivé dans la famille Hugo, il a figuré dans la bibliothèque de Georges Hugo qui, très probablement, l'a fait relier par Lortic fils dont l'activité est connue à partir de 1884. Victor Hugo l'avait-il déjà en sa possession et Georges l'aurait-il fait relier après la mort de son grand-père ou Georges l'aurait-il lui-même acquis?
On pourrait émettre bien d'autres hypothèses. Le manuscrit n'aurait-il pas pu être donné par la famille Daudet à Victor Hugo ou bien à Georges? Très proche d'Edmond de Goncourt, dont il fut l'exécuteur testamentaire, Alphonse Daudet était aussi le beau-père de Jeanne Hugo. Le mystère demeure. À la mort de Jules, en 1870, Edmond poursuit seul cette vaste fresque entreprise conjointement en 1851.
Au fil de ces six années, les allusions à Victor Hugo sont nombreuses depuis la première de la reprise de Ruy Blas le 19 février 1872 jusqu'à un dîner chez lui le 12 février 1877.
-Dimanche 24 mars [1872]: "Hugo est resté avant tout un homme de lettres. Dans la tourbe au milieu de laquelle il vit, dans le contact imbécile et fanatique qu'il est obligé de subir [...] l'illustre amoureux du grand, du beau, enrage au fond de lui [...] Hier à sa table il prenait la défense du préfet Janvier. L'autre jour à propos d'une discussion sur Thiers, il jetait à Meurice: 'Scribe est un bien autre coupable !' [...] Parfois, devant l'envahissement de son salon par les hommes à feutre mou, il se laisse retomber, avec une lassitude indéfinissable, sur son divan, en jetant dans une oreille amie: 'Ah voilà les hommes politiques!' [...] Il disait à Judith, ces jours-ci, dans une visite où il se sauve de son chez lui; 'Si nous conspirions un peu, pour faire revenir les Napoléon, alors, n'est-ce pas, nous retournerions là-bas... nous irions à Jersey' [...]" (tome I, ff. 19 & 20).
-Jeudi 28 mars [1872]: "[...] Il est neuf heure et l'on dîne. J'entends la voix de Hugo [...] Il quitte poliment le dîner, et vient me trouver [...] il me parle dès l'abord de la mort, qu'il considère comme n'étant pas un état d'invisibilité pour nos organes [...] Je le ramène à lui, à Ruy-Blas. Il se plaint de la demande, qui lui est faite d'une nouvelle pièce de son répertoire. La répétition d'une pièce, ça l'empêche d'en faire une autre [...] Puis il parle de sa famille, de sa généalogie lorraine, d'un Hugo, grand brigand féodal, dont il a dessiné le château près de Saverne [...]" (tome I, ff. 20 & 21).
-Mardi 5 août [1873]: "Mme Charles Hugo m'a invité ce soir à dîner, de la part de son beau-père [...] On se met à table. Et aussitôt se renversant dans les assiettes de tout le monde, deux têtes d'enfant: la mélancolique du petit garçon, la tête fûtée de la petite Jeanne [...] Il [Victor Hugo] se met à parler. Il parle de l'Institut, de cette admirable conception de la Convention, de ce Sénat dans le bleu, comme il l'appelle [...] Depuis quelque temps, la petite Jeanne porte sa cuisse de poulet à ses yeux, à son nez, quand tout à coup elle laisse tomber sa tête dans la paume de sa main [...] On l'enlève, et son corps tout mou se laisse emporter, comme un corps où il n'y aurait pas d'os [...]" (tome II, ff. 53 à 56).
-Lundi 27 décembre [1875]: "Je dîne ce soir chez Hugo [...] il se laisse tomber sur le divan [...], dit qu'il n'est pas modéré, parce que l'idéal d'un modéré n'est pas le sien, mais qu'il est un apaisé, un homme sans ambition et éprouvé par la vie [...]" (tome IV, ff. 156 & 157).
-Dimanche 5 mars [1876]: "[..] Aujourd'hui dimanche, dernier jour des élections, j'ai la curiosité de saisir l'aspect du salon Hugo. Dans l'escalier, je rencontre s'en allant, Meurice et Vacquerie. Dans le salon du poète presque vide, Mme Drouet, raide dans sa robe de douairière galante, se tient assise à la droite d'Hugo, dans une attention religieuse [...]" (tome V, f. 12).
Nous tenons à remercier vivement M. Jean-Louis Cabanès, professeur émérite à l'université de Paris Ouest Nanterre et M. Pierre-Jean Dufief, professeur à l'université de Paris Ouest Nanterre et président de la Société des amis des frères Goncourt pour l'aide qu'ils ont bien voulu nous apporter. (6)