Literature
Casimir Zagourski
(1880-1944)
L'Afrique qui disparaît
A l’hiver 1924, Casimir Zagourski embarqua pour Léopoldville afin de s’y installer définitivement.
Il laissait derrière lui ses titres de noblesse et une brillante carrière dans l’armée impériale pour
devenir le portraitiste du continent africain. Zagourski venait de fêter ses quarante ans et,
cherchant le dépaysement et l’aventure, il choisit de suivre les expéditions qui sillonnaient les
plaines et remontaient jusqu’aux sources du Nil. Il s'installe dans la capitale du Congo Belge et
ouvre un studio de photographie et un laboratoire de développement.
Déjà conscient de vivre les derniers instants d’une Afrique épargnée par la modernité,
il documente les peuples et leurs coutumes. Scènes de la vie quotidienne, éléments
d’architecture, costumes, panaromas sont photographiés selon une méthode sérielle, la
répétition et l’accumulation devenant, sous l’objectif de Zagourski, un geste artistique. La
beauté est partout : dans les coiffures, dans la nature, dans les corps et dans les regards. Les
photographies se répartissent ainsi en deux séries soigneusement inventoriées.
Zagourski comprend très vite la nécessité de commercialiser lui-même son oeuvre. Il rassemble
ses images dans de prestigieux albums intitulés L'Afrique qui disparaît, déclinés en nombre
très limité et tous différents, à la couverture ornée d'une tête d'éléphant en cuir embossé. Aux
côtés de ces ouvrages de prestige, Zagourski tire ses photographies en petit format pour les
amateurs. Devant le succès rencontré par ces photographies faciles à collectionner, il tire de
nouveau sur papier argentique les séries complètes en petit format et leur ajoute un dos de
carte postale. Ses photographies étaient prêtes à voyager à travers le monde.
Submergé par les tons et par les formes, Zagourski décide de composer certains de ses paysages
et de ses portraits tel un peintre du XVIIe siècle. Il s’écarte de la représentation frontale et
objective de l’ethnologue pour capter des clair-obscurs, des visages impénétrables, des yeux
voilés par le souvenir. Ces photographies font sa réputation en Europe. Les autorités belges
présentent soixante de ces "photos-tableaux" dans le pavillon du Congo Belge de l'Exposition
Internationale de Paris de 1937; Zagourski les tire alors sur un papier photographique velours
d'une qualité exceptionnelle, qui apportent grain et moelleux à chaque cliché.
Lorsqu'en 1939 éclate la Seconde Guerre Mondiale, Casimir Zagourski est en Pologne. Citoyen
d'une nation envahie par l'Allemagne et par la Russie, il parvient l'année suivante à gagner la
Belgique puis voyage à travers l'Europe avant de regagner l'Afrique. Malade, il s'éteint en 1944
à Léopoldville, laissant derrière lui une oeuvre célébrée.
Cette collection est exceptionnelle tant par son ampleur que par les pièces qui sont présentées,
elle est le souvenir d’une Afrique rêvée, les images d’un monde envolé.
Exposition
Internationale
Paris 1937
PHOTOGRAPHIES DE CASIMIR ZAGOURSKI
Au printemps 1937 à Paris se tient l’Exposition internationale dans le but de promouvoir
la paix en Europe et dans le monde. Cinquante nations sont représentées à travers leurs
pavillons à l'architecture spectaculaire dans lequels ils mettent en scène leur puissance
industrielle, culturelle et coloniale.
Les tensions politiques internationales et la crise économique qui sévit depuis 1929
mettent en lumière un face à face particulier. Dans les jardins du Trocadéro se font face les
pavillons de l’Allemagne du IIIe Reich et de l’URSS dont les puissants symboles dominent
toute l'Exposition et se confrontent de façon symboliquement violente. L’aigle nazi se
veut impérial et dominateur, le couple de travailleurs soviétiques brandit avec vigueur
la faucille et le marteau. Au même moment, au sein du pavillon de de la République
Espagnole, est dévoilé pour la première fois Guernica de Picasso.
Parmi les nations représentées, la Belgique. Fière de ses colonies en Afrique, elle met en
place un Pavillon du Congo Belge dans lequel est présentée par Casimir Zagourski une
soixantaine de ses photographies, tirées en grand format sur un luxueux papier velours
Agfa lux Brovira au grain et à la profondeur inégalés. Transportées d’Afrique en Europe
par la compagnie aérienne Belge Sabena, ces photographies sont exposées sous verre et
connaissent un large succès public.
Album
À l'Éléphant
L'Album à l'éléphant est le grand oeuvre de Casimir Zagourski, l'accomplissement de
son travail de photographe. Soucieux de commercialiser au mieux ses photographies,
il eut l'idée de les réunir dans des objets de luxe qui seraient tous différents, créés sur
commande tels des éditions de prestige. Soigneusement annoté de sa main, chaque
recueil est unique: les thèmes choisis, le nombre et l'ordre des photographies diffèrent
d'un exemplaire à l'autre. Certains développent les coiffures et les scarifications, d'autres
la vie quotidienne, d'autres encore la faune et la flore. Tous, en revanche, possèdent cette
fameuse couverture en cuir embossé, spécialement réalisée par un artisan, représentant
une tête d'éléphant de profil.
Objets d'art autant que témoignages ethnologiques, ces albums sont à la fois les rêveries
d'un visiteur en Afrique et un manifeste esthétique. Les séries de visages photographiés
de face ou de profil, parés ou non de bijoux, les gros plans sur les scarifications prises
selon un même cadrage rapprochent Casimir Zagourski des photographes de la Nouvelle
Objectivité allemande.
Son album personnel, légèrement plus grand que les autres, lui servait à faire la parfaite
démonstration de cette navigation harmonieuse entre souvenirs de voyages, esthétique
moderne et attachement vicéral à un pays encore épargné par les affres de la modernité.
Panoramas
thématiques
Au delà de son intérêt pour l'Afrique et de son désir de produire des photographies
esthétiques, Casimir Zagourski cherche, dès son installation à Léopoldville, une
reconnaissance officielle de la part du gouvernement colonial belge. Il décide d'entreprendre
un travail colossal de documentation afin de promouvoir l'image des colonies en Europe
et surtout d'exalter et de justifier la conquête du Congo par la Belgique.
Le succès lui vient rapidement et afin de tirer le meilleur profit de son travail, Casimir
Zagourski décide de commercialiser sont oeuvre de deux façons parfaitement disctinctes
et même opposées. D'un côté, il réalise sur commande des recueils de luxe appelés 'Albums
à l'éléphant", de l'autre, il décide de diffuser ses tirages argentiques en petits formats au
dos desquels il imprime les contours d'une carte postale, objet populaire par excellence.
Prêtes à parcourir le monde comme l’on rapporterait un souvenir, les photographies de
Casimir Zagourski évoquent l'Afrique par le biais d’un objet facilement transmissible.